PARIS (AFP) - Le trader Jérôme Kerviel a reconnu mardi sa "part de responsabilité" dans les pertes record de la Société Générale tout en refusant d'être "le bouc émissaire" de la banque française, dans un entretien exclusif avec l'AFP.
"J'ai été désigné (comme unique responsable, ndlr) par la Société Générale; J'assume ma part de responsabilité mais je ne serai pas le bouc émissaire de la Société Générale", a expliqué à l'AFP le trader lors d'une rencontre au cabinet parisien de son avocate, Me Elisabeth Meyer.
"On perd la notion des montants quand on est engagé dans ce genre de métier. C'est dématérialisé. On se laisse un peu emporter", s'est justifié le trader qui a engagé au nom de la Société Générale des positions dépassant les 50 milliards d'euros.
"Je n'ai jamais eu d'ambition personnelle dans cette affaire. L'objet, c'était de faire gagner de l'argent à la banque", a-t-il ajouté.
Chemise blanche à carreaux et jeans, le trader le plus célèbre au monde, souriant, s'exprimait d'une voix posée : "Je ne suis pas suicidaire ni dépressif", a-t-il lancé en réponse à ceux qui l'ont présenté comme instable.
Et même s'il juge "le battage médiatique vraiment oppressant", il assure n'avoir "à aucun moment pensé à fuir".
Le trader qui a été interrogé lundi pour la première fois par le juge van Ruymbeke sur le fond du dossier, a expliqué "ne pas avoir encore à l'heure actuelle pris la mesure" des répercussions internationales de l'affaire dont il suit la chronique "dans les journaux et sur internet".
"Il y aurait beaucoup de choses à dire. Il y a beaucoup de déformations dans la presse", a-t-il dit sans toutefois fournir d'exemples.
Le trader est soupçonné de falsifications qui ont coûté 4,82 milliards d'euros à la Société Générale.
Il a été mis en examen le 28 janvier pour "faux et usage de faux, abus de confiance et introduction dans un système de traitement automatisé de données informatiques" par les juges Renaud van Ruymbeke et Françoise Desset.
Il a été placé sous contrôle judiciaire, une décision dont le parquet à fait appel.
Jérôme Kerviel a été entendu lundi sur le fond du dossier par les juges qui l'avaient mis en examen, a-t-on appris mardi de source judiciaire.
Le courtier de 31 ans a été entendu pendant environ huit heures par les juges Renaud van Ruymbeke et Françoise Desset qui l'ont interrogé sur les conditions dans lesquelles il travaillait dans la salle des marchés de la Société Générale, selon cette source.
Le trader Jérôme Kerviel photographié à Paris le 5 février 2008 au côté de son avocate Elisabeth Meyer
©AFP - Martin BureauSelon une source proche du dossier, le trader a maintenu sa version des faits, qu'il avait déjà exposée aux policiers de la brigade financière lors de sa garde à vue.
L'audition de Jérôme Kerviel lundi devant les magistrats est la première depuis sa mise en examen le 28 janvier pour "abus de confiance", "faux et usage de faux" et "introduction dans des systèmes de données informatiques".
Les deux juges l'avaient placé sous contrôle judiciaire, une décision dont le parquet a fait appel. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris doit examiner l'appel vendredi après-midi.
Licencié de la banque à la suite de la découverte de ses agissements, le jeune homme, devenu l'objet des attentions des médias du monde entier, a depuis, été placé sous protection policière à la demande du ministère des Finances.
Les magistrats soupçonnent Jérôme Kerviel d'avoir pulvérisé le plafond des engagements autorisés par la banque en les masquant notamment par des opérations fictives.
En garde à vue, il a reconnu devant les policiers avoir produit de faux courriels de confirmation de position. Il est également soupçonné d'avoir détourné des codes d'accès informatiques pour dissimuler ses prises de position.
Parmi les questions en suspens figurent celles concernant le contrôle des traders et d'éventuelles "tolérances" de la hiérarchie sur le volume de leurs opérations.
"Je ne peux croire que ma hiérarchie n'avait pas conscience des montants que j'engageais", avait affirmé le trader devant les policiers, laissant entendre que ses supérieurs fermaient les yeux sur ses agissement tant qu'il "générait du cash".
L'enquête judiciaire n'est en revanche pas étendue, en l'état du dossier, au chef de "délit d'initié", en dépit des annonces de dépôts de plaintes par des petits actionnaires.
Quatre plaintes pénales ont été enregistrées dans l'affaire de cette perte record de 4,82 milliards d'euros de la Société Générale depuis le début de l'affaire.
L'avocat Me Frédéric-Karel Canoy, à l'origine de trois des quatre procédures, a par ailleurs assigné lundi au civil la banque devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir réparation du "préjudice matériel et moral" des actionnaires de la banque.
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