L'avocat de l'ex-trader a demandé la relaxe de son client, jeudi.
Me David Koubbi est un kamikaze de bande dessinée, qui se jette sur des porte-avions, rebondit en éraflant à peine la coque, et recommence. Le principal avocat de Jérôme Kerviel souffre d'une hernie discale, qui le contraint à s'aider d'une canne; il arbore ce jeudi un spectaculaire cocard à l'œil gauche, stigmate d'une altercation avec un conducteur de scooter. Avec lui, tout devient spectacle, symbole médiatique: Me Koubbi offre son corps souffrant à la cause qu'il a épousée, à la défense de Jérôme Kerviel.
La salle est comble. Au premier rang du public a pris place Tristane Banon; autour de l'avocat, son associé, des collaborateurs ; devant lui, Jérôme Kerviel, les traits tirés, sera tout à l'heure pris de malaises heureusement sans gravité. Me Koubbi se lève, fait ronfler son petit avion et lance son Pearl Harbour judiciaire. Pour expliquer que son client est victime d'une vaste conspiration ourdie par la Société générale et relayée urbi et orbi, il fond sur tout ce qui bouge: Dominique Pauthe, président du premier procès - mis en cause personnellement, alors que trois magistrats ont signé le jugement - se voit taxer de malhonnêteté intellectuelle; Me Olivier Metzner, prédécesseur de Me Koubbi, flétri pour sa courte vue; Renaud Van Ruymbeke, juge d'instruction, stigmatisé pour n'avoir pas voulu ou su voir la vérité; la presse, moquée pour comprendre moins encore que le juge; Nicolas Sarkozy virtuellement radié du barreau pour avoir, alors qu'il était à l'Élysée, foulé aux pieds la présomption d'innocence - n'est-il pas avocat? La Société générale et ses conseils, évidemment, subissent les assauts les plus violents.
«Au plan moléculaire, une seule question se pose, assène Me Koubbi. La banque savait-elle? Si oui, tout cela n'est qu'une mascarade. Sinon, les faits reprochés à M. Kerviel sont bien constitués.» Pour l'orateur, bien entendu, la banque savait, et il entreprend de le prouver à sa façon pour obtenir la relaxe. Comme au cours de l'audience, il affirme et prétend qu'il démontre. «La partie civile a menti, pas M. Kerviel», soutient l'avocat. Et de servir à nouveau tout ce qu'il a déjà servi dans les médias ou à l'audience, comme s'il n'avait pas remarqué que la présidente, Mireille Filippini, très souvent, lui avait porté la contradiction. Là encore, elle interrompt doucement sa plaidoirie pour lui indiquer qu'il profère une contre-vérité: ce genre d'intervention est rarissime, Me Koubbi ne peut pas l'ignorer. Mais il persévère: le propre du kamikaze, c'est de ne pas faire de psychologie: il pique sur sa cible en criant «banzaï».
Il plaide avec fougue
Alors voilà, la banque savait, la perte mise au passif de M. Kerviel pour dissimuler les coûteux déboires de la crise du subprime a été «construite, mise à la hauteur souhaitée». Soit 4,9 milliards. Et encore ce montant est-il «purement déclaratif», puisque «aucune expertise» ne vient l'attester.
Me Koubbi plaide avec fougue et c'est un interprète doué. Ou plutôt, il est fort en musique, moins en paroles: il tourne en rond autour de ses antiennes, maintes fois rapportées dans ces colonnes. Il disait la même chose aux journalistes qu'il recevait à son cabinet quelques jours avant le procès.
Me David Koubbi aurait voulu - il l'a confié à plusieurs chroniqueurs judiciaires - qu'on le comparât à Talleyrand, au motif que, provisoirement, il claudique, et s'est offusqué d'autres parallèles moins grandioses. «Il croit qu'il devient sourd quand il n'entend plus parler de lui», grinçait le boiteux diabolique à propos d'un vaniteux de son époque. Dans la fournaise du prétoire, Me Koubbi plaide de plus en plus fort, pour se rassurer. L'arrêt a été mis en délibéré au 24 octobre.
Jérôme Kerviel: «Pardon aux salariés de la Société générale»
Il est 18h50 jeudi. Me David Koubbi vient d'achever sa longue plaidoirie pour Jérôme Kerviel et la salle, en majorité peuplée de proches de la défense, applaudit à tout rompre. La présidente Filippini s'étrangle: «On n'est pas au spectacle! C'est incroyable». Puis, doucement, elle invite le prévenu à prendre la parole en dernier.
Jérôme Kerviel est debout. Mercredi, l'avocat général a requis cinq ans de prison ferme à son encontre, estimant qu'il est le seul responsable d'une perte de 4,9 milliards d'euros dans les comptes de la Société générale. Accablé par la chaleur - il s'est senti mal à plusieurs reprises -, il a ôté son veston, avec l'autorisation de la cour. C'est donc en bras de chemise qu'il parle, sans micro, de cette voix mate qu'on entend à peine: «Je ne suis pas d'un naturel bavard. Je n'ai jamais menti à la justice. Chaque fois qu'on m'a accusé de le faire, ça m'a blessé. Devant vous, je joue mon avenir. J'accepterai votre décision. Ce qui m'a été volé depuis janvier 2008, c'est la santé de ma mère et l'honneur de mon nom. Je pense aussi aux salariés du réseau Société générale et je leur demande pardon. Je souhaite enfin remercier mon équipe de défense. Nous avons une relation de frères, c'est un peu dangereux, je le sais. Cela fait trois mois qu'on travaille jour et nuit, je remercie tout le cabinet.»
À cet instant, un immense regret se fait jour: quel dommage que Jérôme Kerviel, prisonnier d'une ligne de défense impliquant le jusqu'au-boutisme judiciaire, n'ait pas pu davantage laisser s'exprimer son humanité. La semaine passée, déjà, il avait non pas fendu l'armure, mais autorisé un tout petit peu son cœur à parler, et cela avait touché juste.
La cour se retire avec l'image de l'ancien trader épuisé, debout en chemise rose, qui veut reconquérir l'honneur de son nom et qui, enfin, présente des excuses.
Source :
Le Figaro