Edito du
MondeCinq ans de prison, dont trois ferme, 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts. La lourde condamnation de l'ancien trader de la Société générale, Jérôme Kerviel, peut étonner. Un jugement "déraisonnable", a-t-on dit, "extravagant", "irréaliste", "inacceptable", qui n'aurait fait payer qu'un "lampiste" et visé qu'un "bouc émissaire".
Il convient de rappeler que, si sévère qu'apparaisse le jugement, les justices étrangères se sont, dans le passé, montrées plus dures encore avec les autres grands rogue traders, condamnés à sept ans de prison.
On peut comprendre l'élan de sympathie spontané vis-à-vis d'un jeune homme dont les agissements n'ont eu après tout pour conséquence que de faire perdre de l'argent à une banque. On peut aussi s'agacer de voir la Société générale sortir apparemment entièrement blanchie de cette affaire.
Mais ce n'est pas vrai. D'une part, la banque a déjà été condamnée, lourdement, par la Commission bancaire pour les défaillances dans ses systèmes de contrôle. Surtout, sa réputation a souffert, notamment à l'étranger, alors qu'elle était, avant l'affaire Kerviel, la seule banque française à concurrencer ses rivales anglo-saxonnes dans les activités de marché. Enfin, toute la ligne hiérarchique du trader a quitté l'établissement, jusqu'à son président, Daniel Bouton, poussé dehors, il est vrai, sous le harcèlement permanent de l'Elysée.
Le tribunal correctionnel de Paris, comme avant lui les juges d'instruction Renaud Van Ruymbeke et Françoise Desset – peu suspects de sympathie pour les banquiers –, s'est contenté de dire le droit, alors même que beaucoup auraient voulu transformer l'affaire Kerviel en procès de la "finance folle" et des bonus à gogo.
La justice a d'abord rappelé que la Société générale a été victime dans cette affaire, et non l'inverse, qu'elle a subi un préjudice financier considérable – le fisc français aussi, par la même occasion. Et que les agissements de Jérôme Kerviel ont "mis en péril la solvabilité de la banque, qui employait les 140 000 personnes dont il faisait partie, et dont l'avenir se trouvait gravement hypothéqué".
La justice française n'a pas non plus retenu, faute d'un seul élément dans le dossier allant dans ce sens, la théorie, pourtant excitante, selon laquelle Jérôme Kerviel aurait bénéficié de complices ou de la bienveillance de sa hiérarchie. Elle a dit que, jusqu'à preuve du contraire, le métier de trader, si décrié soit-il, n'est pas illégal, qu'il a ses règles, ses devoirs, et même sa déontologie. Et son utilité: qui se plaint des traders quand il s'agit de vendre notre dette!
Enfin, la justice s'est montrée sévère, parce que agacée, pour l'individu Jérôme Kerviel, selon les attendus du jugement dénonçant "cynisme" et "impassibilité trompeuse". Elle a relevé que la défense véhiculait "l'image d'un individu en quête d'anonymat antinomique avec le retentissement qu'il s'est attaché à donner à l'affaire dans les médias".
La justice n'a peut-être pas rendu le jugement dont l'opinion rêvait. Est-ce une raison pour le qualifier d'inique ?